Last

  • L’INCROYABLE HISTOIRE DU PETIT TOM
    Tout a commencé en Savoie. Enfin pas tout. Inutile de revenir sur la grande explosion, les poussières qui tourbillonnent puis forment des planètes, les poissons qui sortent de l’eau qui donnent des singes qui descendent des arbres qui mangent des bananes et deviennent les hommes – non pas les arbres, mais les singes qui en descendent, soyez logique ! Non, nous n’allons pas revenir sur toute l’Histoire. Une simple histoire qui a commencé, comme expliqué, en Savoie. La Savoie et ses hautes et majestueuses montagnes où les petits lapinous gambadent heureux et mutins alors que les pistourelles des jazettes gazouillent dans les arbustes fleuris mais aussi où, il faut l’avouer, ça caille sévère. C’est vrai, pas tout le temps. Sinon point de lapinous souriants, de pistourelles chantantes et encore moins de fleurs sur les arbres. Mais le côté guilleret du printemps qui renait reste inutile ici sachant qu’au début de cette histoire, la précision est nécessaire, ça grelottait costaud. En effet, tout a commencé en Savoie donc, au cours d’un des jours les plus froids que connussent les moutons des alpages depuis des dizaines de générations. Et ça en fait des kilos de gigots qui ont eu froid lors de ce jour où, revenons-en à nos moutons, tout a commencé.C’était en Savoie – oui c’est vrai, cela fait déjà beaucoup de répétitions, n’y voyez pas une quelconque maladresse de conteur débutant mais bien l’intention de marquer une information primordiale par l’utilisation de rabâchages abusifs pour amener, quoi qu’il en coute, le lecteur assidu mais parfois tête en l’air à ne pas oublier que cette fable se déroule en Savoie, en plein milieu des montagnes et de l’hiver, et que, comme souvent dans ce style d’histoire, tout débute par des cris enfantins troublant le calme de la vallée endormie.Oui, une vallée ! Il y a des montagnes, et elles entourent une vallée : c’est en Savoie on vous a dit. Avec, au fond de cette vallée, un tout petit village. Si petit que, en réalité, ce n’était en rien un village. Ni même un bourg, encore moins un hameau. Ni existait que trois petits chalets, dont les deux tiers restaient inhabités. Dans le dernier, au cours de cette nuit froide et étoilée, un enfant poussait ses premiers cris. Il ne réveilla aucun voisin, normal il n’y en avait plus – ne perdez pas le fil crénom ! les chalets sont vides – et ses parents bien que fiers d’avoir mis au monde un sacré petit morceau – 4,2 kg et 65 cm au garrot le bestiau – restaient circonspects, inquiets et même dubitatifs. En effet, bien que très enjoué – histoire de marquer son contentement d’être de retour pour une nouvelle aventure – et riant aux éclats à en faire tomber les stalactites qui pendaient sous les gouttières, le bambin était comme la Savoie : tout froid. Aucune chaleur ne sortait de ce petit être. Contrastant avec sa bonhommie toute neuve, le garçon avait une température dramatiquement basse. Les parents paniqués voyaient là l’œuvre du malin et ne savaient quoi faire. Pour commencer, ils calèrent l’enfant au milieu de l’étable, avec les bœufs, l’âne, les poules et les canards, histoire de lui procurer une chaleur suffisante par des moyens ancestraux. N’y voyait là nulle allusion christique : il n’y avait nuls canards palmés à Bethléem. Ni même de poule d’ailleurs. Enfin si, il devait  y avoir des poules en Judée il y a deux mille ans, mais pas dans l’étable à laquelle vous pensez. A moins que… Quoi qu’il en soit, le bébé dont il est question ici était froid, mais souriant, alors que s’inquiétaient ses parents apeurés. Leur seconde résolution fut de joindre le médecin local – un borgne bien trop porté sur la bouteille – et de lui demander de venir jeter un œil sur leur rejeton.Cinq jours et quelques litres plus tard, le docteur examinait le nouveau né et l’auscultation ne révéla rien de fâcheux. Certes, le généraliste constata que la température interne de l’enfant diminuait lorsque la maman berçait son petit mais tout revenait à la normale lorsque lui-même approchait son stéthoscope et son haleine chargée. Selon le thérapeute, ce n’était rien de bien folichon et le bébé fut déclaré parfaitement sain. Les parents crurent, à tort, l’incident clos et reprirent le cours d’une existence bien remplie, faite d’élevage de moutons et de gallinacées caquetants, de tissage de laine, de culture de tout ce qui poussait dans leur jardin et de remplissage de marmite pour déguster de succulentes soupes aux pois. Activités cruciales auxquelles s’ajoutaient quelques distractions quotidiennes, comme la pratique assidue du jeu de la parlimpugne ou encore l’épique chasse au Pangolin. L‘essentiel demeurait de veiller avec amour sur leur adorable petit Thomas, baptisé ainsi en l’honneur de son grand-père Timothée qui un jour avait dit “Par la barbe de Saint-Pierre, je me suis cassé un ongle en labourant le champ du père Franlou !“, ce qui ne semble n’avoir aucun rapport et, en effet, cela n’en a aucun, sauf que le dit grand-père avait trouvé le jour du fameux labour une gourmette argentée sur laquelle était gravée le prénom en question. Bijou magnifique qu’il revendit pour s’acheter des poules, qui pondaient des œufs – c’est dans leurs attributions – dont le plus gros fut offert au père de notre froid bambin. Le gentil donateur ne manqua pas cependant de préciser : “N’oublie pas que c’est grâce à Thomas mon petit et pas besoin de le voir pour le croire !“L’œuf ne fut pas brouillé, ni même battu en omelette. Il fut bel et bien couvé à sa manière par le futur père, à l’aide d’une vieille pondeuse en pré-retraite. L’oeuf donna une poule qui donna elle-même de nombreux œufs qui constituèrent le début d’une fort belle carrière et d’un sympathique petit pécule. Le père bienheureux, devant les fruits de son labeur, enfin plutôt les œufs, ne pouvait jamais s’empêcher de s’exclamer : “C’est grâce à Thomas, c’est grâce à Thomas ! Pas besoin de le voir pour le croire.“Quel rapport avec le prénom de l’enfant, demanderez-vous ? Le soir de la naissance, avec le froid qui sévissait et les contractions douloureuses, la maman ne pouvait s’empêcher de crier dans la nuit noire : “Grace ! Grace ! Grace !“Réclamant ainsi au Seigneur de la libérer au plus vite. Chose qui lui fut accordée, ce qui donna, au moment de la délivrance : “Grace ! Grace ! Grace ! Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah.“Le père ne put s’empêcher, réflexe de Pavlov oblige, d’ajouter en voyant l’enfant pointer sa frimousse rieuse : “Thomas !“Le petit était baptisé et pouvait commencer à grandir dans sa vallée. Le seul souci restait bien qu’à part les flocons, quelques marmottes insomniaques et autres quadrupèdes constituant une faune joueuse et bigarrée, le petit Thomas grandit au milieu de pas grand-chose. Voire même de rien. Pas de camarades de jeu, pas de petit edelweiss fleuri – il fallait crapahuter pendant une journée entière pour en trouver une – et encore moins de douce donzelle à qui offrir l’edelweiss. Eh oui, triste réalité, à part sa famille enchantée, il n’y avait rien, absolument rien dans cette vallée. Que dalle ! Nichts ! Nothing !A tel point qu’un jour de printemps, pendant un voyage d’agrément avec sa femme, Gonzalo Delacruz, touriste hispanique en pleine pause chorizzo-cerveza n’avait pu s’empêcher de s’exclamer, déprimé devant l’endroit, certes magnifique, mais en tout point désert : “Concepcion ! c’est la vallée de nada ici !“La vallée de rien ! C’était bel et bien vrai, mais point dramatique. Arrivé à ce point du récit, soit vous êtes déjà parti – et ne pouvez donc lire cette phrase, soit vous vous demandez où cela va-t-il bien pouvoir mener ? Ne perdez pas le fil et soyez patient, vous verrez que la fin est en tout point onctueuse et savoureuse ! Délicieuse même ! Car, bien que grandissant dans “la vallée de rien”, il y avait pour le petit Thomas absolument tout. Il arpentait les flancs des montagnes enneigées et longeait les ruisseaux en chantant, ne perdait jamais l’occasion de discuter avec les pies, de courir à cloche-pied avec les dahuts ou de jouer à cache-cache avec les mouflons. Confronté en solitaire au monde qui l’entourait, il n’en perdait pas son juvénile enthousiasme et s’amusa ainsi dans ses plus tendres années à découvrir l’existence et ses mystères. Il se divertissait à emmener les petits insouciants marmottons à l’école pendant que Môman faisait la sieste, à se balader la nuit en compagnie de Monsieur Hibou, à se coller contre les arbres pour découvrir l’histoire du monde ou encore à passer des après-midis entières à débattre des informations people avec ses potes écureuils – Bob le putois et sa belle s’étaient une nouvelle fois séparés à cause d’une histoire fumante alors que Josélito et Enriqueta, les rouges-gorges, inséparables, roucoulaient sous le grand chêne. Chose incroyable, le petit Tom restait radieux en toute circonstance, enjoué voire exubérant lorsqu’il s’occupait dans la nature. Chose plus incroyable encore, à chaque fois que l’enfant était radieux, enjoué voire exubérant, il devenait froid. Comme le jour exact de sa naissance. Il n’en dit jamais rien à ses parents, qui lui avaient conté quel effroi ils avaient enduré en ces moments bénis. Car, outre profiter de ses copains de la forêt, le petit Thomas se préoccupait tout autant de voir ses parents heureux et en bonne santé. Il ne manquait jamais une occasion d’aider son père – “Pôpa, tu devrais labourer vite, il va pleuvoir demain” ou de regarder sa mère tricoter en partageant ses découvertes de la journée “C’est une chouette hulotte ça Manman !“ La vie continuait à s’éveiller chaque jour dans la vallée isolée quand, un matin, sans prévenir, l’enfant arriva devant la table du petit déjeuner avec une idée vissée en tête : “Manman, manman, comment on fait pour devenir un roi mage ?”Les parents, perplexes, furent pris au dépourvu devant cette drôle de question.– Mais pourquoi veux-tu savoir ça mon petit chou ?– Ben, un mage, c’est bien une sorte de grand monsieur qui fait des tours ou qui peut dire l’avenir ? J’ai demandé à Tutulle, c’est ce qu’il m’a dit, mais j’ai pas tout compris.– C’est qui Tutulle ?– C’est mon copain cerisier. Enfin, il a raison Tutulle ou pas ?– Euh… oui, c’est bien ça.– Et comme les rois c’est comme les empereurs, ce sont les chefs et les plus forts, les rois mages sont bien les meilleurs des magiciens ?– Alors là, tu m’en poses une drôle de question. A mon avis, c’est déjà bien suffisant d’être un mage.– Ah d’accord ! Ben je ferais juste mage alors !La décision du petit bout de chou était prise. Mais pourquoi, demanderez-vous, perplexe devant une telle vocation ou vous interrogeant sur les motivations qui poussent un enfant solitaire, camarades des lapinous et des plantes, à opter pour un métier si ingrat et exigeant ?Parce que le petit savait écouter mais surtout car il demeurait un incorrigible curieux. S’amusant avec Eugène le Chaton, le petit Tom s’était caché dans un placard de la cuisine et n’avait pu s’empêcher de surprendre une conversation parentale à propos de quelques tracas causés par les poules en grève de ponte :“C’est pas facile. On risque de perdre beaucoup. Ah, si on pouvait connaitre l’avenir, ce serait beaucoup plus simple tout de même.”La nécessité d’apprendre à décrypter les voies étranges du futur germa dans l’esprit du petit Tom. Après la recommandation maternelle, il se décida à devenir un mage reconnu et, ne sachant comment s’y prendre, choisit de tenter sa chance dès qu’il le pouvait en commençant par quelques menues prédictions.Sa mère le surprit ainsi un matin, en train de discuter avec un arbre : “Mon copain Fifulle, tu vas bientôt donner des fruits, je te le dis moi !“ Chose incroyable – croyez-le, cela n’est en rien une arnaque d’auteur : tout est véridique dans cette révélation, certes insensée, mais réelle : l’arbre en question donna sept semaines plus tard une cargaison de pommes succulentes….
  • LE ROUGISSEMENT OU L’IMPORTANCE DES PLUMES DE SAVON…
    Mes Amies bonsoir, (oups, pardon, doit y avoir deux trois grincheux mal rasés qui trainent) : Mes Amis bonsoir, Il nous faut parler ce soir de ces petits détails dont tout le monde, à quelques pangolin(e)s près, ne prend plus la peine d’admirer. Vous savez bien, ces instants fugaces où il se passe une chose si magique que personne n’ose la regarder en face. Peur de se brûler les ailes peut-être. Ou plutôt la crainte de voir qu’il y a dans l’air non seulement de l’air – mais si, 78% d’azote, une dose certaine de CO2, plein de petites particules qui trainent et un peu d’oxygène, vous savez bien, juste assez pour être vivant ! – mais aussi une quantité inouïe de plumes de savon qu’on ne peut pas peser, mesurer ou quantifier !Oui, des plumes de savon ! Rappelez-vous quand vous étiez tout petit. Vous les voyiez avec vos yeux du dessus de la tête. C’est en plume pour pouvoir porter des rires, des sourires, des espoirs, des joies incommensurables, des explosions de bonheur, des valises d’allégresse, des caddies d’enchantement et bien des choses encore. C’est tout fragile et c’est en savon pour venir éclater et se coller sur la tête des chanceux à qui elles sont destinées.Alors oui, c’est vrai, il faut le dire, il y a de sacrées choses dans l’air.Et puis comme notre corps est une grande antenne détectrice de plumes de savon, il réagit toujours quand il arrive à en attraper une. C’est de ça dont il faut parler aujourd’hui !Parce que, alors qu’il faudrait s’en réjouir, maintenant, plus personne n’écoute les messages enchantés que détecte notre vieille carcasse-radio. Pire même : lorsque, au final, on les écoute un peu, soit on le cache, soit on esquisse un sourire et un vilain doigt moqueur se dresse quelque part. Alors là, c’est le cercle vicieux fatal.Parce que vous savez ce qu’il se passe quand quelqu’un lève un doigt moqueur ? Ca créée tout de suite une plume de goudron toute flétrie, pleine de pétrole et d’autres immondices nauséabonds. Une franche plume toute en squelette pas belle à recevoir. Encore moins à envoyer ! Elle vient s’agglutiner sur la magnifique plume de savon au caramel sucré qui n’avait pas fini de naitre, et ça la fait fondre tout de suite.Alors, oui il faut en parler, parce que si tout le monde se met à remuer des nappes entières de masse gluante, c’est pas sûr qu’on puisse encore un jour faire décoller la moindre plume de savon. Pour commencer, sortons le tapis volant et parcourons s’il vous le voulez bien un peu de chemin. Pas très loin, rassurez-vous. Prenez un coussin, ça pourra tout de même secouer un peu. On décolle voilà, juste là, regardez. C’était avant, vous étiez tout petit !Ah ça rigolait en jouant à cache-cache dans la maisonnée, n’est-ce pas ? Bande de fieffées petites Pangolines ! Ça c’est sûr, ça va donner de la Bougresse de qualité royale ou je n’y connais rien. Oh pardon, ça va donner aussi du grincheux mal rasé sympa quand même, non ?Et puis, entre des parties de footmousse, avec le ballon imbibé d’eau les jours de grande averse, ou les derniers potins sur Barbie qui a reluqué le popotin du Petit Poney pendant que Ken s’amusait avec Candy, il y a, déjà, les premières réactions.Rappelez-vous. Vous avez fait vos devoirs. Enfin, à peu près. Il y a des fautes qui trainent sur votre copie comme vos doigts dans le pot de confiture chez grand-mère ! Vous en mettez partout. C’est pas très grave bien sûr.Mais quand la maitresse vous dit que cela pourrait être mieux la prochaine fois, à condition de faire un peu plus attention ou que Grand Mamie vous gronde, gentiment et avec le sourire, en déclarant que vous prenez un mauvais pli, le rouge vous monte au visage. Alors vous promettez bien d’être plus attentive et surtout que vous allez repasser votre pli comme Maman vos chemises. Ce sera impeccable et ça sentira la lavande. Mais, sur le coup, ce petit rouge là, qui vous rosit les pommettes, cela vous marque. Ce n’est pas de la honte. Surtout pas. Ce n’est pas de la colère. Non, c’est un léger sentiment fugace. Qui en fait est la clef de toute la suite.Ce petit rouge là, il signifie juste que quelqu’un vous a compris. Et vous fait confiance. C’est ridicule n’est-ce pas ? Ça veut dire que la maitresse sait que vous pouvez faire mieux. Ça veut dire que vous pouvez grandir. Vous pouvez vous améliorer. Quand on a cinq ou six ans, c’est bête non ? Ça veut juste dire qu’après avoir ressassé sans cesse les tables de multiplication, on pourra prendre ces outils là comme des grandes vis de meccano et construire plein de choses. Des fusées colorées. Des escaliers pour grimper sur la Lune. Des arrosoirs géants pour asperger la fleur qu’on a offerte à Maman. Et la maitresse, elle nous a juste dit que si on faisait plus attention, on pourrait faire tout ça ! Imaginez donc. Alors, vu ainsi, c’est quand même normal de marquer le coup en rosissant un peu, non ?Et quand Grand-Mère nous réprimande en rigolant comme un gâteau aux amandes, c’est juste pour nous rappeler qu’il y a des trucs qui se font et d’autres qui ne se font pas. En même temps, elle est bonne cette confiture, alors elle redevient petite fille et la partage avec vous. Alors, de votre côté, vous comprenez ce qu’elle vous apprend et surtout qu’il y a des petits plaisirs simples qu’il faut partager et non pas déguster en cachette. Vous comprenez là encore que la prochaine fois faudra tout faire bien. C’est-à-dire ouvrir le pot, le goûter tout de même un peu puis le poser sur la table avant de préparer des crêpes pour que les parents en profitent eux aussi ! Et Grand Mamie, juste en grondinant avec douceur, elle a juste montré que vous compreniez tout ça et que vous pouviez le faire. Alors vous rougissez un peu, quoi de plus normal ? Et puis, les pots de confiture, les crêpes et les jours filent à une vitesse folle.Un matin, une demoiselle, elle s’appelle Justine, vient vous demander si vous avez compris le cours de Msieur Frutulin. Ça parlait de constellations et de planètes en formation. C’est comme les blancs en neige, faut touiller très fort pour que la poussière prenne. Sauf que là, faut que ça fasse des grumeaux, parce que si y a pas de grumeaux, ça fait pas de soleil ni de planètes, encore moins de dinosaures et d’arbres pour que les singes en descendent. Et s’il y a pas tout ça, il n’y a pas Justine. Alors vous lui expliquez à la Doucette. Et, comme par magie, elle comprend tout. Alors elle dit merci. Vous vous rappelez ? Pas un merci comme on les entend partout. Non, un vrai merci, qui commence aux chaussettes, qui monte jusqu’à la tête et qui explose dans les yeux. Un merci comme ça, il ne s’entend pas. Il éclate à la tête comme une bulle de chewing-gum qui fait rire. Alors, quoi de plus normal, vous rougissez !Mais là, il y a un gros rabougri, avec ses doigts boudinés, qui le fait remarquer à ses camarades rabougris, et aussi boudinés, levant leurs doigts pour se moquer. C’est sale, ça sent le mazout, mais tout le monde s’en fout. Parce que tout le monde a préféré oublier les crêpes, le pot de confiture et les gâteaux aux amandes. On leur a dit qu’il fallait grandir. Alors ils font à tel point semblant d’être des adultes qu’ils en deviennent encore plus méchants. D’après ce qui sort de leur bouche-égout, il n’y a que les enfants qui rougissent. Ça sert à rien, c’est la ‘te-hon’, c’est nul !Mais en fait, quand un doigt boudiné se lève pour se moquer, c’est juste parce qu’il n’est pas capable de comprendre. Il n’est pas capable de sentir l’odeur du printemps, il n’est pas habile pour toucher du doigt les pétales de roses qui fleurissent sur les chemins des amoureux. Ils sont sales, ils sentent le mazout et ils noircissent tout ce qu’ils regardent.Alors, pour échapper à tout ça, vous prenez tous vos rougissements, vous les cachez dans la poche de votre pantalon troué, vous les rangez dans une grande boite en carton et puis, c’est inéluctable, vous y pensez de moins en moins souvent. C’est dommage, parce que pour nettoyer le mazout, il y a tout dans cette boite en carton. Mais c’est un peu la malédiction des coffrets à secret. Ils sont si timides qu’ils préfèrent attendre au fond des placards, emmitouflés par des vieux pulls qui sentent la poussière et qui font éternuer les souris.C’est comme ça qu’il n’y a plus trop de rougissements partout. Au final, comme il y a toujours des plumes de savon qui arrivent à décoller ici ou là, un jour, on se balade comme avant et il y a tout qui change. C’est un peu comme faire du shopping avec une demoiselle. Elles ne savent pas ce qu’elles veulent, elles ne savent pas toujours où aller, mais à l’arrivée elles ont toujours trouvé quelque chose de joli comme leur sourire. Sans parler de tous les rêves qu’elles se sont fabriquées en parcourant les boutiques telles des enfants autour du Sapin de Noël. C’est pareil pour vous. Vous continuez à parcourir le monde, les pieds dans les étoiles et la tête à l’envers. Vous oubliez un peu beaucoup passionnément les rougissements qui vous donnaient de la vigueur et de la confiance mais ils sont toujours tout à l’intérieur de vous. Prêt à éclore. Eh oui ! Comme le naturel est un cheval fougueux, et qu’il n’y a rien de plus naturel que des plumes de savon qui viennent se coller sur vous comme le feraient des abeilles sur une friandise géante, vous êtes de temps en temps rattrapé par vous-même et votre corps-radio qui rougit dans des situations incongrues. Cette fois-ci, plus personne ne dit rien. Les doigts boudinés sont allés mazouter les plages d’espoir qui trainent partout et tous les autres n’ouvrent plus leurs mirettes pour profiter avec vous d’un rougissement salutaire. Donc, ce petit rougissement qui vient de temps à autre vous chatouiller les narines et qui devrait être partagé comme la confiture, vous le gardez pour vous. Vous le trainez un peu, comme une vieille paire de chaussures, mais il n’arrive pas à rester coller. Alors, il s’envole, distrait… et voilà, c’est fini.Pas tout à fait en réalité. Il vous arrive parfois de vous surprendre à provoquer un tel afflux de perles vivifiantes sur la peau douce de vos congénères. Une manière inconsciente pour vous de replonger dans les souvenirs oubliés comme un enfant dans un chariot tout en haut d’une montagne russe. En fermant les yeux. Ça descend très vite, ça chatouille les orteils et ça plaque votre cœur tout au fond de votre carcasse-radio. La peur n’est que passagère et, c’est rigolo, une fois passée, ça fait un bien fou.C’est pourquoi vous essayez parfois de voir chez les autres si eux aussi sentent le vent dans leurs cheveux pendant la descente vers leur vieux pot de confiture ou si, hélas, ils ne sont même plus capables de s’exprimer avec des perles sous la peau. Et puis, un jour… Vous vous baladez. Tout seul. Et d’un coup, Elle est là.Vous n’essayez pas de comprendre ce qui se passe, ni pourquoi, ni comment. Elle est là. Et vous parlez. De tout. Et de plein de petits riens. Le mélange des deux, ça fait comme une grosse soupe à la guimauve dans laquelle vous avez envie de plonger tout entier pour arroser vos plumes de savon.Et puis un jour, elle vous dit : “T’as qu’à venir là.“Et vous y allez.Y a de la crainte. De la curiosité aussi. Et un panier en osier entier, rempli à ras bord de questions.Mais vous y allez. Avec tout ça sur le dos…
  • … UN VERRE, ÇA TE DIT ?
    Si si, je vous l’assure. Elle a dit “Un verre, ça te dit ?” A moi ! Incroyable non ? Ça veut donc dire que, malgré tous les ratés dont je semble friand, j’ai encore et malgré tout une chance ? Bon, un verre, ce n’est qu’un verre, mais quand même. Et puis j’ai soif. Comment j’en suis arrivé là ? La faute à quelques balbutiements malencontreux sous un soleil beaucoup trop puissant. Après un début en fanfare et surtout avoir réussi à être à l’heure au mauvais endroit, la demoiselle, celle que je n’ai encore jamais vue –a dégainé son téléphone et m’a envoyé un message.En deux mots, elle avait tout résumé. Quelle concision, quelle perfection. Je me suis donc expliqué et la voilà qui me guide par sms interposé. Elle est là. Juste là. A une centaine de mètres. Deux tout au plus. Près de la fontaine. La fameuse fontaine avec de l’eau qui mouille. Il n’y a plus qu’à y aller. Deux-cent mètres, c’est quoi au juste ? Rien. Presque rien. Mais ça vous laisse juste le temps de vous perdre dans mille cogitations saugrenues. Parce que, il faut le répéter : je ne l’ai encore jamais vue. Et là, dans quelques mètres, dans quelques minutes, je vais la voir. Ces dernières semaines, le ciboulot étant ce qu’il est, à savoir une sacrée machine à mouliner sévère, a mouliné sévère. Pour construire de la Belle une image parfaite : pas trop grande, pas trop petite, le cheveu d’ébène et l’œil rieur. Et puis, histoire de peaufiner, la jupette qui donne au tableau une grâce unique. On est dans le sud, il fait chaud et surtout à ce niveau, c’est l’imagination qui fonctionne, laissons-la s’exprimer librement. Et si… non n’y pensons pas, je pourrais toujours trouver un subterfuge si la caboche s’est plantée en beauté. Car là, dans quelques minutes, je vais la voir. D’ailleurs je la vois. La fontaine. Il y a des dizaines de personnes autour. Elle est donc là. Le pas, naturellement, ralentit. Un tiraillement tord les boyaux et l’estomac. C’est que ça mouline sévère dans le ciboulot. Bref, ça cogite sévère et ça balise à donf pour Monsieur. C’est qu’on n’a pas la chance de rencontrer tous les jours la femme de sa vie. Même si on ne le sait pas encore. Mais bon, c’est pas le moment de se dégonfler. Le torse se gonfle un peu. Le sourire se dessine. Et l’estomac se tortille davantage. Et puis là, je la vois. Ce ne peut être qu’elle. Ni trop petite. Ni trop grande. Le cheveu est virevoltant. Et d’ébène. L’œil, même de loin, semble s’amuser. Et puis la jupe est là. Parfaite. Sans vulgarité. Pleine d’élégance estivale. Je m’avance. Elle se lève (eh oui, à force d’attendre, elle a dû patienter sur le bord de la fameuse fontaine.) Vient le moment des premiers mots. On dirait des murmures. Ce sont plutôt des onomatopées béates prononcées dans un ordre aléatoire. Mais on fait comme on peut quand on est impressionné. Tout sort dans le désordre. Bref, ça semble bien parti mon bonhomme. Continue comme ça et ça va finir en un tête à tête avec la fontaine. Et vous savez quoi ? Elle m’a jeté une bouée de sauvetage. Elle a simplement dit : “Un verre, ça te dit ?” Elle l’a dit ! A moi. Pleine de malice et surtout prête à me venir en aide. A moins qu’elle n’ait vraiment très soif. Il fait chaud quand même. En plus, elle se laisserait bien tentée par une petite mousse. Et là, ça ne se refuse pas. C’est parti. Voilà, ça s’est passé comme ça. Incroyable, non ? Et encore, je ne vous ai pas raconté la suite…
  • … UN PROBLÈME ?
    Si si, je vous l’assure. Elle a dit « Un problème ? » A moi ! Incroyable non ? Me voilà à l’endroit prévu, frais et pimpant, plein d’entrain et prêt à faire une rencontre unique et inoubliable. Pourtant, il semblerait y avoir un drôle de souci. Dingue, n’est-ce pas ? Comment j’en suis arrivé là ? La simple conséquence d’un fâcheux imbroglio à propos de coordonnées satellites. Après un incroyable assentiment à une osée invitation, il a fallu, le jour venu, se parer de ses plus beaux artifices. C’est parti pour la douche, la préparation de la tenue d’apparat, le cirage de chaussures et la gomina dans les cheveux. Sans oublier la préparation mentale pour tenter de mater l’appréhension, la crainte et toutes les fichues interrogations qui s’entrechoquent dans la caboche.Bref, j’étais sapé comme un sac de patates et je flippais sévère en arrivant au point de rendez-vous. Elle m’avait dit « On s’attend à côté de la fontaine à tel endroit. »  J’étais donc à tel endroit, je n’ai pas vraiment vu de fontaine, mais peu importe, j’y étais. Avec dix minutes d’avance en plus.Là, le ciboulot repartait de plus belle. A chaque fois qu’une représentante de la gente féminine, notamment les plus charmantes, passait devant moi, la question tombait fatalement : « Et si c’était Elle ? »  Inexorablement, la réponse suivait : « Ah ben non ! » Les dix minutes d’avance transformées en cinq minutes de retard, le chrono s’en fichait et continuait de tourner. Une idée  lancinante commençait alors à prendre forme. Elle avait pourtant bien dit « A côté de la fontaine à tel endroit. »  Je suis nouveau en ville certes, pourtant je suis bien à tel endroit. A moins que le mot clé était plutôt la fontaine. Oui c’est sûr maintenant. Ce mince filet d’eau hésitant à mes pieds ne ressemble en rien à une majestueuse fontaine. Fichtre ! Diantre ! Je ne suis pas au bon endroit !Tout va rentrer dans l’ordre, c’est sûr. Mais comment ? Si elle me téléphonait, je pourrais au moins lui expliquer la méprise et dissiper le malentendu. Parce que je veux absolument La voir. Elle et pas une autre. Il faudrait pour cela qu’elle ait enregistré le numéro que je lui avais donné, « juste au cas où » !Il ne me restait plus qu’à invoquer les divinités des heureuses rencontres. Vous savez quoi ? Elle m’a envoyé un sms. Elle a dit « Un problème ? » Elle l’a dit ! A moi. J’étais sauvé. Voilà, ça s’est passé comme ça. Incroyable, non ? Et encore, je ne vous ai pas raconté la suite…
  • … POURQUOI PAS !
    Si si, je vous l’assure. Elle a dit « Pourquoi pas ! » A moi ! Incroyable non ? C’est dingue, extraordinaire et absolument génial. Mais surtout, ça met une pression terrible. Ça donne l’impression de devoir sauter du haut de la Tour Eiffel avec un vieux drap en guise de parachute. Incroyable non ? C’est dingue, extraordinaire et absolument génial. Mais surtout, ça met une pression terrible. Ça donne l’impression de devoir sauter du haut de la Tour Eiffel avec un vieux drap en guise de parachute. Comment j’en suis arrivé là ? La simple logique des choses voyez-vous. Après une mise en bouche qui aurait pu littéralement virer au fiasco, le contact s’est naturellement fait entre Elle – la Seule, l’Unique – et moi. Une correspondance épistolaire via les moyens modernes s’est progressivement mise en place.Dans la douceur du printemps quelques petits messages agrémentaient ici et là mes journées et soirées . Vu que c’est Elle (même s’il était trop tôt pour l’affirmer avec trompette et fanfare), je me surpris à divaguer sur le clavier, alerte et jovial. Les enluminures se dessinaient presque sur chaque majuscule ! Les petits messages devenaient les envolées lyriques d’un troubadour timide sous le balcon d’une Princesse céleste.Bref, on s’envoie des mails histoire de se découvrir et je ne lésine pas sur les effets de style pour me montrer sous mon meilleur profil ! Ça discute, ça se découvre, ça s’intrigue et puis finalement les jours et les messages passent. Surgit alors une inquiétude terrifiante : et si ce n’était que ça ?Car c’est bien joli, c’est bien beau, mais converser avec un écran d’ordinateur se révèle vite insuffisant. C’est comme partir en voyage en ne regardant que des photos sur papier glacé.Un désir légitime pointe alors le bout de sa frimousse : et si on se voyait en vrai de vrai ?Et avec lui la peur ultime : si ça ne lui disait rien à elle ? Ah oui ça fout les chocottes ça ! Bon, quand faut y aller faut y aller : faut lui demander quand même !Alors il a fallu se préparer. Sortir la tenue parfaite, se laver les mimines et taper le message ultime pour amener au mieux la Question. Là, forcément, Elle a dit « Non ! »Elle l’a dit ! Je vous l’assure.Normal, le jour proposé ne lui convenait pas.Par contre, pour le vendredi soir, là, la guillotine est tombée ! Vous savez quoi ?Elle a dit « Pourquoi pas ! » Elle l’a dit ! A moi. Voilà, ça s’est passé comme ça. Incroyable, non ? Et encore, je ne vous ai pas raconté la suite…